Page:Tolstoï - Guerre et Paix, Hachette, 1901, tome 2.djvu/96

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retirer comme s’il n’avait rien entendu, tout en prenant grand soin de ne pas coudoyer en passant sa jeune maîtresse et de ne pas lui faire de mal par quelque brusque mouvement.


IV

Le vieux comte, dont la chasse avait toujours été tenue sur un grand pied, ne s’en occupait plus depuis qu’il l’avait remise entre les mains de son fils ; mais ce jour-là, 18 septembre, se sentant de bonne humeur, il se décida à y prendre part.

L’équipage de chasse et les chasseurs se trouvèrent bientôt réunis devant le perron. Nicolas, l’air soucieux et préoccupé, passa devant Pétia et Natacha, sans faire attention à ce qu’ils lui disaient… Pouvait-on, en cet instant solennel, penser à des futilités ? Il examina tout en détail, envoya en avant les chasseurs et la meute, enfourcha son alezan Donetz, et, sifflant à lui sa laisse de chiens, il franchit l’enclos, pour se diriger à travers champs vers le bois d’Otradnoë. Un domestique d’écurie menait par la bride une jument bai brun, à crinière blanche, appelée Viflianka : c’était la monture du vieux comte, qui devait se rendre en droschki au rendez-vous indiqué.

Cinquante-quatre chiens courants, quarante lévriers et plusieurs chiens en laisse, accompagnés de six veneurs et d’un grand nombre de valets de chiens, formaient un total de cent trente chiens et de vingt chasseurs à cheval. Chaque chien connaissait son maître et répondait à son nom ; chaque chasseur savait d’avance ce qu’il avait à faire et l’endroit où il devait se poster.

Dès que les cavaliers eurent dépassé l’enceinte, ils débouchèrent en silence sur la grande route et s’engagèrent sur les prairies, dont leurs chevaux foulaient sans bruit le tapis moelleux et faisaient jaillir sous leurs sabots l’eau des flaques des sentiers de traverse. Le ciel brumeux s’abaissait toujours imperceptiblement ; dans l’air calme et pur retentissaient parfois le sifflet d’un chasseur, le hennissement d’un cheval, le claquement d’un long fouet et le cri plaintif d’un chien flâneur qu’un valet rappelait à son devoir.