Page:Tolstoï - Guerre et Paix, Hachette, 1901, tome 3.djvu/112

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En rentrant chez lui, il y trouva quelques personnes qui l’attendaient, le secrétaire du comité, le colonel du bataillon, son intendant, son majordome, etc. ; tous avaient à lui demander quelque chose. Pierre ne comprenait rien, ne s’intéressait pas à leurs affaires et ne répondait aux gens que pour s’en débarrasser au plus vite. Enfin, resté seul, il décacheta et lut la lettre de sa femme, qu’il venait de trouver sur sa table. « La simplicité du cœur consiste dans la soumission à la volonté de Dieu. Eux en sont un exemple, se dit-il après l’avoir lue ; il faut savoir oublier et comprendre tout… Ainsi donc ma femme se remarie… » Et, s’approchant de son lit, il se jeta dessus et s’endormit aussitôt, sans même se donner le temps de se déshabiller.

À son réveil, on vint lui dire qu’un homme de la police était venu s’informer, de la part du comte Rostoptchine, s’il était parti, et que plusieurs personnes l’attendaient. Pierre fit à la hâte sa toilette, et, au lieu de passer au salon, prit l’escalier de service et disparut par la porte cochère.

Depuis lors, et jusqu’après l’incendie de Moscou, malgré toutes les recherches qu’on put faire, personne ne le revit et ne sut ce qu’il était devenu.

XII

Les Rostow ne quittèrent Moscou que le 13 septembre, la veille même de l’entrée de l’ennemi.

Une terreur folle s’était emparée de la comtesse après l’entrée de Pétia au régiment des cosaques d’Obolensky et son départ pour Biélaïa-Tserkow. La pensée que ses deux fils étaient à la guerre, exposés tous deux à être tués, ne lui laissait pas une minute de repos. Elle essaya de revoir Nicolas, et voulut aller reprendre Pétia, afin de le placer en sûreté à Pétersbourg : mais ces deux projets échouèrent. Nicolas, qui, dans sa dernière lettre, avait raconté sa rencontre imprévue avec la princesse Marie, ne donna plus signe de vie pendant longtemps. L’agitation de la comtesse s’en augmenta, et finit par la priver complètement de sommeil. Le comte s’ingénia à calmer les inquiétudes de sa femme, et parvint à faire passer son plus jeune fils du régiment d’Obolensky dans celui de Be-