Page:Tolstoï - Guerre et Paix, Hachette, 1901, tome 3.djvu/120

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par entraîner dans cette grande œuvre, à peser avec elle de toutes leurs forces sur le couvercle.

« Tu as raison, Natacha, tout y entrera si on enlève un tapis.

— Non, non, il faut peser dessus !… Pèse donc, Pétia !… À ton tour, Vassilitch, disait-elle, pendant que d’une main elle essuyait sa figure ruisselante de sueur, et que de l’autre elle pressait tant qu’elle pouvait le contenu de la caisse.

— Hourra ! » s’écria-t-elle tout à coup.

Le couvercle venait de se fermer, et Natacha, battant des mains, poussa un cri de triomphe. Une seconde après avoir ainsi conquis la confiance générale, elle entreprenait une autre caisse. Le vieux comte lui-même ne s’impatientait plus lorsqu’on lui disait que telle ou telle nouvelle disposition avait été prise par Natalie Ilinichna. Cependant, malgré leurs efforts réunis, tout ne put être emballé dans la nuit ; le comte et la comtesse se retirèrent après avoir remis le départ au lendemain, et Sonia et Natacha s’étendirent sur les canapés.

Cette même nuit, Mavra Kouzminichna fit entrer un nouveau blessé dans la maison Rostow. D’après ses suppositions, ce devait être un officier supérieur. La capote et le tablier de sa calèche le cachaient entièrement. Un vieux valet de chambre, d’un extérieur respectable, était assis sur le siège à côté du cocher, tandis que le docteur et deux soldats suivaient dans une autre voiture.

« Ici, par ici, s’il vous plaît, nos maîtres partent, la maison est vide, disait la vieille au vieux domestique.

— Hélas ! dit celui-ci, Dieu sait s’il est encore vivant ! Nous avons aussi notre maison à Moscou, mais c’est loin et elle est vide !

— Venez, venez chez nous, répétait la femme de charge. Votre maître est donc bien malade ? » Le valet de chambre fit un geste de découragement.

— Nous n’avons plus d’espoir !… Mais il faut avertir le médecin. »

Il descendit du siège et s’approcha de l’autre voiture.

« C’est bien, » répondit le docteur.

Le domestique jeta un coup d’œil dans la calèche, secoua la tête, et donna l’ordre au cocher de tourner dans la cour.

« Seigneur Jésus-Christ, s’écria Mavra Kouzminichna lorsque l’équipage s’arrêta à côté d’elle, portez-le dans la maison, les maîtres ne diront rien, » ajouta-t-elle… et, comme il était