rité de la vie ne se serait-elle donc révélée à moi que pour me laisser dans le mensonge ? Je l’aime plus que tout au monde, et puis-je m’empêcher de l’aimer ? » se dit-il en poussant un profond gémissement, comme il en avait pris l’habitude pendant ses longues heures de souffrance.
À cette plainte, Natacha posa son ouvrage sur la table, se pencha vers lui, et, voyant ses yeux brillants :
« Vous ne dormez pas ? lui dit-elle.
— Non, il y a longtemps que je vous regarde ; je vous ai sentie entrer. Personne comme vous ne me donne ce calme si doux… cette lumière !… J’aurais presque envie de pleurer de bonheur ! »
Natacha se rapprocha encore plus près, et son visage s’illumina de joie et de passion.
« Natacha, je vous aime trop, je vous aime plus que tout au monde.
— Et moi… »
Elle détourna la tête un instant.
« Pourquoi donc trop ?
— Pourquoi trop ?… Eh bien, dites-moi la vérité, dites-moi ce que vous sentez au fond du cœur… Vivrai-je ? Qu’en pensez-vous ?
— J’en suis sûre, j’en suis sûre ! » s’écria Natacha en lui saisissant les deux mains avec une exaltation croissante.
Il se tut.
« Comme ce serait bien ! » dit-il en lui baisant la main.
Natacha était heureuse ; mais, se rappelant aussitôt qu’une émotion trop vive pouvait lui être fatale :
« Vous n’avez pas dormi, dit-elle en se maîtrisant… Il faut dormir, je vous en prie. »
Il lui serra de nouveau la main, et elle reprit sa place. Deux fois elle se retourna, et, rencontrant chaque fois son regard, elle redoubla d’attention à son ouvrage, afin d’éviter de lever encore les yeux. Bientôt après il s’endormit.
Son sommeil ne fut pas de longue durée. Une sueur froide le réveilla.
Sa pensée recommençait à flotter entre la vie et la mort :
« L’amour, qu’est-ce que l’amour ? se disait-il. L’amour est la négation de la mort, l’amour c’est la vie ; tout ce que je comprends, je ne le comprends que par l’amour. Tout est là !… L’amour c’est Dieu, et mourir c’est le retour d’une parcelle d’amour, qui est moi, à la source générale et éternelle. »