Page:Tolstoï - Guerre et Paix, Hachette, 1901, tome 3.djvu/271

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de vue l’armée russe, forte de 60 000 hommes. Ce ne fut, d’après M. Thiers, que le talent et peut-être le génie de Murat qui parvinrent à découvrir cette « tête d’épingle ».

Dans son activité diplomatique, les arguments employés par Napoléon pour démontrer sa générosité et sa justice en causant avec Toutolmine et Iakovlew furent également superflus : Alexandre ne reçut pas ses ambassadeurs, et ne répondit pas à leur mission. En ce qui concerne ses mesures juridiques, malgré le supplice des faux incendiaires, la moitié de Moscou brûla. Ses mesures administratives ne furent pas plus heureuses : l’institution de la municipalité n’arrêta pas le pillage, et ne profita qu’aux individus qui en firent partie ; ceux-là, sous prétexte de rétablir l’ordre, pillaient pour leur compte, ou ne s’occupaient que de préserver leur propre avoir. Dans la sphère religieuse, la visite à la mosquée, qui, en Égypte, avait si bien réussi, ne porta à Moscou aucun fruit. Deux ou trois prêtres essayèrent d’exécuter la volonté impériale, mais l’un fut souffleté par un soldat français pendant l’office, et un fonctionnaire fit le rapport suivant sur l’autre : « Le prêtre que j’avais découvert et invité à recommencer à dire la messe a nettoyé et fermé l’église. Cette nuit on est venu de nouveau enfoncer les portes, casser les cadenas, déchirer les livres et commettre d’autres désordres. » Quant au commerce, la proclamation « aux paisibles artisans et aux paysans » resta sans réponse, par la raison qu’il n’y avait pas de « paisibles artisans » et que les « paysans » faisaient la chasse aux émissaires qui s’égaraient jusque chez eux avec cette proclamation, et les tuaient sans merci. Les spectacles organisés pour l’amusement du peuple et des troupes ne réussirent pas davantage ; les théâtres ouverts au Kremlin et dans la maison Pozniakow furent aussitôt fermés, car les acteurs et les actrices furent dépouillés de tout ce qu’ils avaient.

Sa bienfaisance fut également stérile : les faux et les vrais assignats, distribués si généreusement par Napoléon aux malheureux, inondaient Moscou et n’avaient aucun prix, l’argent même était échangé contre de l’or pour la moitié de sa valeur, car les Français ne recherchaient que ce dernier métal. La preuve la plus frappante du manque de vitalité de ces dispositions se trouve dans les efforts que fit Napoléon pour mettre fin au pillage et rétablir la discipline.

Voilà, en effet, ce que disaient les autorités militaires : « Le pillage continue en ville malgré la défense qui en a été faite ;