Page:Tolstoï - Guerre et Paix, Hachette, 1901, tome 3.djvu/286

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tions de paix ; cette lettre était faussement datée de Moscou, car Napoléon se trouvait alors un peu en avant des troupes russes, sur la vieille route de Kalouga. Koutouzow répondit à cette lettre, comme à la première apportée par Lauriston, qu’il ne pouvait être question de paix.

Bientôt après on apprit, par un rapport de Dorokhow, qui était à la tête d’un corps de partisans, que les forces ennemies observées à Faminsk se composaient de la division Broussier, et que cette division, séparée du reste de l’armée, pouvait être facilement culbutée. Officiers et soldats demandaient à grands cris à sortir de l’inaction, et les généraux de l’état-major, excités par le souvenir de la facile victoire de Taroutino, insistaient auprès de Koutouzow pour qu’il accédât à la proposition de Dorokhow ; mais, le commandant en chef continuant à refuser de prendre l’offensive, on se décida pour un terme moyen : on enverrait un petit détachement pour attaquer Broussier.

Par un étrange effet du hasard, cette mission de la plus grande importance, comme la suite le prouva, fut confiée à Dokhtourow, à qui son allure modeste avait fait, sans motifs plausibles, une réputation d’indécision et d’imprévoyance, et que personne n’a jamais songé à représenter, comme tant d’autres, composant des plans de bataille, s’élançant en avant de son régiment, et jetant à pleines mains des croix sur les batteries. C’était cependant ce même Dokhtourow que nous trouvons pendant toutes nos guerres avec les Français, depuis Austerlitz jusqu’à l’année 1815 à la tête des opérations les plus difficiles. C’était lui qui était resté le dernier à la chaussée d’Aughest, lors de la bataille d’Austerlitz, reformant les régiments et sauvant tout ce qui pouvait être sauvé dans cette déroute où pas un général n’était à l’arrière-garde. Malade de la fièvre, il allait ensuite avec vingt mille hommes défendre Smolensk contre toute l’armée de Napoléon. Arrivé là, à peine s’est-il endormi d’un sommeil agité, que la canonnade le réveilla, et Smolensk tint toute la journée. À la bataille de Borodino lorsque Bagration est tué, que nos troupes du flanc gauche sont décimées dans la proportion de 9 à 1, que toute la force de l’artillerie française est dirigée de ce côté, c’est encore ce Dokhtourow « indécis et imprévoyant » que Koutouzow s’empresse d’envoyer pour réparer la faute qu’il avait commise en faisant d’abord un choix malheureux. Dokhtourow y va, et Borodino devient une de nos gloires les plus brillantes. Ce fut donc lui qu’on envoya à Fominsk, puis à Malo-Yaroslavetz, et