Page:Tolstoï - Guerre et Paix, Hachette, 1901, tome 3.djvu/299

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soldat, etc. ; alors seulement, en exprimant par équations certains faits historiques, et en les comparant à la valeur relative, on peut espérer déterminer « l’inconnue » elle-même.

Dix hommes, dix bataillons ou dix divisions se battant contre quinze hommes, quinze bataillons ou quinze divisions, ont le dessus, c’est-à-dire qu’ils ont tué et fait prisonniers le reste sans exception, en perdant 4 de leur côté, donc 4x = 15y, soit x : y :: 15 : 4. L’équation ne donne pas la valeur de l’« inconnue », mais indique le rapport entre les deux « inconnues », c’est-à-dire entre l’esprit de corps (x et y) qui animait chacun des belligérants. En appliquant ainsi le système des équations différentes aux différents faits historiques (batailles, campagnes, durée des guerres), il en résulte une série de nombres, qui renferment assurément et peuvent fournir au besoin de nouvelles lois.

La règle de tactique qui prescrit d’agir par masses à l’attaque, et par fractions à la retraite prouve une fois de plus, sans le savoir, que la force d’une armée gît dans l’esprit qui l’anime. Pour conduire ses hommes au feu, il faut plus de discipline (et elle ne s’obtient que sur des masses mises en mouvement) que pour se défendre contre les assaillants. Aussi la loi qui ne tient pas compte de « l’esprit des troupes » n’aboutit-elle, le plus souvent, qu’à des appréciations mensongères partout où une violente exaltation ou un grand affaissement viennent à se produire dans « l’esprit des troupes », comme, par exemple, dans les guerres nationales.

Les Français, au lieu de se défendre isolément pendant leur retraite, se serrent en masses, car, l’esprit de l’armée étant à bas, la force seule de la masse pouvait contenir les unités. Les Russes au contraire, qui, selon ces lois de la tactique, auraient à attaquer par masses, se divisent, parce que l’esprit des troupes est surexcité, et l’on voit des individus isolés battre les Français sans en attendre l’ordre, et s’exposer, sans y être contraints, aux fatigues et aux dangers les plus grands.

Cette guerre de partisans commença à l’entrée de l’ennemi à Smolensk, avant même d’avoir été officiellement acceptée par notre gouvernement ; des milliers d’hommes de l’armée ennemie, des traînards, des maraudeurs, des fourrageurs, avaient été tués par nos cosaques et par nos paysans, avec aussi peu de remords que s’il se fût agi de chiens enragés. Denis Davidow fut le premier à comprendre, avec son flair patriotique, la tâche qui était réservée à cette terrible massue, qui, sans s’inquiéter des règles militaires, frappait les Français sans