Page:Tolstoï - Guerre et Paix, Hachette, 1901, tome 3.djvu/322

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fourgon, tira de sa poche un rouble, qu’il donna au cosaque, examina son sabre et le glissa dans le fourreau. Les hommes détachèrent les chevaux et en arrangèrent les sangles.

« Voilà le commandant, » dit Likhatchow à la vue de Denissow, qui appelait Pétia du seuil de l’isba et donnait ordre de se préparer.

X

Les chevaux furent sellés en un tour de main, et chacun se mit en place. Denissow donna ses dernières instructions au détachement d’infanterie qui servait d’avant-garde, et qui disparut bientôt derrière les arbres, en pataugeant dans la boue, et en s’enfonçant dans le brouillard du matin. Pétia tenant son cheval par la bride, attendait impatiemment l’ordre du départ ; ses ablutions du matin l’avaient singulièrement rafraîchi, mais ses yeux brillaient d’un éclat inaccoutumé, pendant que le frisson de la fièvre l’agitait de plus en plus.

« Eh bien, est-ce prêt ? » demanda Denissow.

On lui amena les chevaux, et, après avoir gourmandé son cosaque pour n’avoir pas assez serré les sangles, il se mit en selle. Pétia posa le pied sur l’étrier, tandis que son cheval tentait, comme toujours, de lui attraper la jambe, et, s’élançant sur sa monture, léger comme un oiseau, il se retourna pour voir s’ébranler la file des hussards.

« Vassili Fédorovitch, dit-il en se rapprochant de Denissow, vous me confierez un petit commandement, n’est-ce pas ? »

Denissow, qui avait presque oublié l’existence de Pétia, le regarda avec surprise :

« Je ne te demande qu’une chose, lui dit-il sévèrement : c’est de m’obéir et de ne pas te fourrer là où tu n’as que faire !… » Et pendant toute la marche il ne lui dit plus un mot.

Lorsqu’ils arrivèrent à la lisière du bois, la plaine commençait déjà à s’éclairer, et Denissow donna alors un ordre à l’essaoul ; ses cosaques défilèrent un à un devant eux, et il descendit la montagne à leur suite. Glissant et se retenant sur leurs pieds de derrière, les chevaux avec leurs cavaliers arrivèrent bientôt dans le ravin. Pétia, dont le frisson