Page:Tolstoï - Guerre et Paix, Hachette, 1901, tome 3.djvu/340

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ont fait tout ce qui était possible et indispensable pour l’honneur de la nation. Ce n’est pas leur faute si, pendant ce temps, d’autres Russes, confortablement assis dans des chambres bien closes, s’amusaient à combiner des plans irréalisables ! Cette étrange et inconcevable contradiction du fait réel et de la description officielle provient de ce que les historiens s’attachent à nous décrire les sentiments sublimes et à nous répéter les paroles mémorables de certains généraux, au lieu de dépeindre prosaïquement les événements. Les grandes phrases de Miloradovitch, les récompenses reçues par tel ou tel militaire pour ses profondes combinaisons stratégiques ont seules le don de les intéresser, mais les 50 000 hommes disséminés dans les hôpitaux et dans les cimetières n’attirent pas leur attention, comme s’ils étaient indignes de leurs savantes recherches… Et cependant ne suffit-il pas de laisser de côté l’étude des rapports et des plans de bataille, et de pénétrer dans le mouvement intime de ces centaines de milliers d’individus qui prennent une part immédiate aux événements pour donner à des questions jusque-là insolubles en apparence une solution claire comme le jour ?