Page:Tolstoï - Guerre et Paix, Hachette, 1901, tome 3.djvu/363

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Vive Henri IV, vive ce roi vaillant ! Ce diable à quatre…, chantait Morel.

— Vive harica, vive cerouvalla ! sidiablaka… répétait à son tour le soldat qui avait saisi le refrain.

— Bravo ! bravo ! » s’écrièrent quelques voix, au milieu d’un franc éclat de rire.

Morel riait avec eux en continuant… : « eut le triple talent de boire, de battre, et d’être un vert galant !

— Cela sonne bien tout de même. Voyons, Zaletaiew, répète.

— Kiou kiou… le tripetala déboi, déba et dettra vargala, chanta-t-il, criant à pleins poumons et avançant ses lèvres avec effort.

— C’est ça, c’est ça !… c’est du français, n’est-ce pas ?… Donne-lui de la « cacha », il lui en faudra pas mal pour en manger à sa faim. » Et Morel engloutit sa troisième écuelle.

De sympathiques sourires couraient sur les visages des jeunes soldats, tandis que les vieux, trouvant au-dessous d’eux de s’occuper de ces puérilités, restaient étendus de l’autre côté du feu, en se soulevant parfois pour jeter un coup d’œil affectueux sur Morel.

« C’est aussi des hommes pourtant, dit l’un d’eux en s’enveloppant de sa capote, et l’absinthe aussi a ses racines. »

— Oh ! comme le ciel est étoilé, c’est signe de gelée, quel malheur !… »

Les étoiles, assurées de n’être plus dérangées par personne, scintillèrent plus vivement sur la sombre voûte ; tantôt s’éteignant, tantôt s’allumant et lançant dans l’espace une gerbe de lumière, elles semblaient se communiquer mystérieusement une joyeuse nouvelle.

X

L’armée française continuait à fondre dans une progression égale et mathématique, et le passage de la Bérésina, sur lequel on a tant écrit, n’a été qu’un incident de sa destruction, et nullement l’épisode décisif de la campagne. Si l’on en a fait tant de bruit du côté des Français, c’est que tous les malheurs, tous les désastres échelonnés le long de leur route, se réunirent