Page:Tolstoï - Guerre et Paix, Hachette, 1901, tome 3.djvu/99

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ductions, lui posa les mains sur la tête, et, à cet attouchement, elle sentit, comme elle le raconta plus tard, l’impression d’une fraîche brise qui pénétrait dans son cœur… C’était la grâce qui opérait !

On la conduisit ensuite vers un abbé de robe longue, qui la confessa et lui donna l’absolution. Le lendemain il lui apporta chez elle, dans une boîte d’or, les hosties de la communion ; il la félicita d’être entrée dans le giron de la sainte Église catholique, l’assura que le pape en allait être informé, et qu’elle recevrait bientôt de lui un document important.

Tout ce qui se faisait autour d’elle et avec elle, l’attention dont elle était l’objet de la part de ces gens, dont la parole était si élégante et si fine, l’innocence de la colombe devenue son partage, figurée sur sa personne par des robes et des rubans d’une blancheur immaculée, tout lui causait une amusante distraction. Néanmoins elle ne perdait pas son but de vue et, comme il arrive toujours dans une affaire où il y a de la ruse sous jeu, c’était le plus faible comme intelligence qui devait vaincre le plus fort.

Hélène comprit fort bien que toutes ces belles phrases et tous ces efforts n’avaient d’autre objet que de la convertir au catholicisme et d’obtenir d’elle de l’argent pour les besoins de l’ordre. Aussi elle ne manqua pas d’insister auprès d’eux, avant de se rendre à leurs demandes, pour faire hâter les différentes formalités indispensables en vue de son divorce. Pour elle, la religion n’avait d’autre mission que de satisfaire ses désirs et ses caprices, tout en se conformant à de certaines convenances. Aussi, dans un de ses entretiens avec son confesseur, elle exigea qu’il lui dît catégoriquement à quel point l’engageaient les liens du mariage. C’était le moment du crépuscule : tous deux, près de la fenêtre ouverte du salon, respiraient le doux parfum des fleurs. Un corsage de mousseline des Indes voilait à peine la poitrine et les épaules d’Hélène ; l’abbé, bien nourri et rasé de frais, tenait ses mains blanches modestement croisées sur ses genoux, et, en portant sur elle un regard doucement enivré par sa beauté, lui expliquait sa manière d’envisager la question brûlante qui l’intéressait. Hélène souriait avec inquiétude ; on aurait dit qu’à voir la figure émue de son directeur spirituel elle craignait que la conversation ne prît une tournure alarmante. Mais, tout en subissant le charme de son interlocutrice, l’abbé se laissait évidemment aller au plaisir de développer sa pensée avec art.