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I

C’était à la fin de 1851. Par une froide soirée de novembre, Hadji Mourad entrait dans l’aoul[1]Machnet, d’où se dégageait la fumée odorante du kiziak[2] ; c’était un aoul non pacifié de Tchetchenz, sis à vingt verstes des possessions russes.

Le chant monotone du muezzin venait de cesser, et dans l’air pur des montagnes, imprégné de l’odeur de la fumée du kiziak, on entendait distinctement, à travers les meuglements des vaches et les bêlements des brebis qui se dispersaient parmi les huttes de l’aoul accolées les unes aux autres comme des alvéoles, les sons gutturaux de voix qui discutaient, des voix d’hommes, de femmes, d’enfants qui revenaient des fontaines.

Ce Hadji Mourad était le caïd de Schamyl, célèbre par ses exploits. Il ne sortait jamais sans ses insignes et escorté de quelques dizaines de murides[3]qui galopaient autour de lui, mais ce soir-là il était enveloppé d’un bachelik et d’un manteau de drap à col de fourrure, de sous lequel apparaissait son fusil, et il était accompagné d’un seul

  1. Village des peuplades du Caucase.
  2. Briquettes de fumier employées pour le chauffage.
  3. Sectaires musulmans.