Page:Tolstoï - Hadji Mourad et autres contes.djvu/232

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dans la garnison, ici probablement, il avait dû commettre un crime quelconque (il s’était probablement enfui et avait été rattrapé), et que, maintenant, on l’en punissait. J’appris après qu’il en était bien ainsi.

J’étais comme fasciné en regardant marcher ce malheureux, en voyant comment on le frappait, et je sentais que quelque chose se passait en moi. Tout d’un coup je remarquai que les spectateurs qui étaient à côté de moi me regardaient, les uns s’écartant, les autres se rapprochant. Évidemment on m’avait reconnu. Voyant cela, je me détournai et rentrai hâtivement. Les tambours continuaient à battre, la flûte jouait. Ainsi la punition durait encore. Normalement j’aurais dû trouver bien ce qu’on faisait à mon sosie, ou tout au moins reconnaître que ce qui se faisait devait être. Mais je sentais que cela m’était impossible. Cependant je me rendais compte que ne pas admettre que ce qui était devait être, que c’était bien, m’entraînait à reconnaître que toute ma vie, tous mes actes, que tout cela était mauvais, et que je devais faire ce à quoi j’avais songé depuis longtemps : abandonner tout, m’en aller, disparaître.

Ce sentiment s’empara de moi. Je luttai contre lui. Tantôt je reconnaissais que cela devait être ainsi, que c’était une triste nécessité ; tantôt je reconnaissais que c’était moi qui devais être à la place de ce malheureux. Mais, chose étrange, je n’avais point pitié de lui, et, au lieu d’arrêter