Page:Tolstoï - Hadji Mourad et autres contes.djvu/309

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

et encore souhaitait-il que le sacrifice lui fût difficile et pénible à accomplir. Seulement alors il était heureux. En outre, il était pur comme un enfant et tendre comme une femme.

On pouvait douter qu’elle l’aimât, mais sans le moindre doute elle était son seul amour, sa divinité, du moins pour ceux qui les voyaient ensemble. Il fallait voir ses grands yeux, bleus, ronds, quand ils la regardaient, suivaient chacun de ses mouvements, et reflétaient chaque expression de son visage. Il fallait voir toute sa personne faible, en veston mal fait, qui s’animait quand il se penchait du côté où elle se trouvait. Pour quiconque le voyait, il ne pouvait être le moindre doute.

Alexis Nicolaievitch, son mari défunt, le savait aussi, et sans crainte les laissait des soirées entières seuls, c’est-à-dire avec les enfants. Ceux-ci le savaient également. Ils aimaient leur précepteur et leur mère et trouvaient tout naturel qu’ils s’aimassent.

La seule précaution que prit Alexis Nicolaievitch contre Pierre Nikiforovitch, ce fut de l’appeler « Pierre le Sage » . Alexis Nicolaievitch aimait et estimait Pierre Nikiforovitch. Il ne pouvait ne pas l’estimer, vu son affection extraordinaire et son dévouement pour les enfants, et à cause de ses grandes qualités morales, mais il ne pouvait admettre la possibilité de l’amour entre sa femme et lui. Et cependant, je suis enclin à penser qu’elle l’aimait. Sa mort fut pour elle non seulement un grand malheur, mais un grand