Page:Tolstoï - Hadji Mourad et autres contes.djvu/70

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

La lune se couchait ; le jour commençait à poindre, et le travail touchait à sa fin quand arriva le fils aîné, Akim, en pelisse de peau de mouton et coiffé d’un bonnet.

— Que fais-tu là, à fainéanter ! cria sur lui le père en s’arrêtant de battre et s’appuyant sur le fléau.

— Il faut que quelqu’un soigne les chevaux.

— Soigne les chevaux, singea le père. La vieille les soignera. Prends le fléau ; tu deviens trop gras, ivrogne !

— Ce n’est pas toi qui m’as donné à boire, grommela le fils.

— Quoi ? demanda sévèrement le vieillard en fronçant les sourcils et manquant un coup.

Le fils, sans mot dire, prit le fléau, et l’on se mit à battre à quatre : tram, ta, pa, tam… tram… frappait le lourd fléau du vieillard.

— Regarde sa nuque ; il s’est coiffé comme un monsieur… Et voilà, moi, mon pantalon ne tient plus, dit le vieux, manquant encore un coup mais balançant en l’air le fléau pour ne pas perdre la mesure.

Une rangée était terminée, et les femmes se mirent à rassembler la paille avec des râteaux.

— Quel imbécile ce Piotr de s’être engagé pour toi ! Si tu avais été soldat, on te l’aurait chassée, ta paresse ! Et lui, s’il était resté à la maison, il en vaudrait cinq comme toi.

— Assez, père ! dit la bru en rejetant les liens.

— Oui, il faut vous nourrir tous ; six personnes,