Page:Tolstoï - Hadji Mourad et autres contes.djvu/93

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aîné du Khan, Abounountzan Khan. Plus tard elle a encore nourri un autre fils du Khan, Oulim Khan. Elle l’a très bien nourri, mais mon second frère, Akhmet, mourut. Quand je naquis, la femme du Khan mit aussi un enfant au monde, Boulatch Khan. Ma mère refusa d’aller le nourrir. Mon père le lui ordonnait, mais ma mère refusait. Elle disait : cela tuerait encore le mien, je n’irai pas. Alors mon père, qui était très violent, la frappa de son poignard et l’eût tuée si quelqu’un ne fût venu à son secours. Et ainsi, elle ne m’abandonna point. Par la suite, elle composa sur ce sujet une chanson. Mais cela, il ne faut pas le raconter…

— Non, il faut tout raconter, dit Loris Melikoff.

Hadji Mourad devint pensif. Il se rappelait sa mère, quand elle le faisait coucher près d’elle sous sa pelisse, sur le toit de la cabane, et qu’il lui demandait de lui montrer sur son côté la trace de la blessure. Il se rappelait la chanson et la dit : « Ton poignard aigu a déchiré ma poitrine blanche. Mais moi, j’ai approché de cette blessure mon soleil, mon petit garçon. Je l’ai lavé avec mon sang chaud, et la blessure s’est fermée sans herbes ni racines. Je n’ai pas eu peur de la mort, et mon fils, qui sera brave, lui non plus n’en aura pas peur. » Voilà ; c’est ma mère qui est maintenant chez Schamyl, et il faut la sauver, dit Hadji Mourad.

Il se rappelait la fontaine au pied de la montagne où, s’accrochant au pantalon de sa mère, il allait avec elle chercher de l’eau. Il se rappelait comment, pour la première fois, elle lui avait rasé la tête,