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Page:Tolstoï - Histoire d’un pauvre homme.djvu/166

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dis-je. Je voulais le mener à son échec devant le Schweitzerhoff.

— Non, répondit-il. Ma musique ne peut plaire à personne. Les Italiens sont des musiciens comme il n’y en a pas au monde et moi je ne puis que chanter des airs tyroliens. Pour eux, c’est toujours une nouveauté.

On y est certainement plus généreux qu’ici, continuai-je, voulant lui faire partager ma fureur contre les habitants du Schweitzerhoff. Ce qui est arrivé ici ne peut arriver là-bas. Que dans un immense hôtel ou vivent des gens riches, cent hommes ayant entendu un artiste ne lui donnent rien.

Ma question eut un résultat opposé à celui que je présumais. Il n’avait même pas songé à leur en vouloir. Bien au contraire, dans ma remarque il vit comme un reproche pour son talent qui n’avait pas trouvé d’appréciateur. Aussi chercha-t-il à se justifier devant moi.

— Ce n’est pas chaque fois qu’on récolte, dit-il. Parfois la voix vous manque. Songez donc, je suis fatigué. J’ai marché neuf heures aujourd’hui et j’ai chanté presque toute la journée. C’est bien difficile, vous savez. Et ces messieurs les aristocrates ne veulent parfois pas écouter les airs tyroliens.

— Mais ne rien donner, c’est tout de même un peu fort.

Ma remarque resta incomprise.

— Ce n’est pas cela, dit-il. Ce qui est important ici, c’est qu’on est très serré pour la police. Voilà : d’après leurs lois républicaines, on ne peut chanter tandis qu’en Italie on peut le faire tant qu’on veut, pas âme ne vous dira mot. S’ils veulent bien vous