Page:Tolstoï - Histoire d’un pauvre homme.djvu/184

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Il aimait voir ses yeux devenus sérieux quand elle écoutait l’ennuyeux sermon du curé. Et aussi, quand avec une étonnante fidélité, elle imitait tantôt la vieille nourrice, tantôt le voisin ivre, tantôt lui-même, passant en un instant d’une figure à l’autre.

Mais au-dessus de tout Migourski appréciait son exubérante joie de vivre. C’était comme si elle venait d’apprendre toutes les beautés de la vie et cherchait à en jouir le plus tôt possible. Cette joie de vivre lui plaisait à lui ; et elle, elle s’enchantait de cette joie de vivre parce qu’elle sentait que la joie de vivre plaisait au jeune homme.

Et c’est pour cela qu’Albine seule savait pourquoi Migourski n’avait pas demandé la main de Wanda.

Bien que ne le disant à personne, et ne se l’avouant pas à elle-même, au fond de son âme elle savait qu’il avait voulu aimer sa sœur et n’était arrivé qu’à l’aimer elle-même, Albine. Elle s’en étonnait, car elle se considérait comme inexistante auprès de sa sœur Wanda, belle, instruite et intelligente. Mais elle ne pouvait s’empêcher de s’en réjouir, car de toutes ses forces, elle s’était mise à aimer Migourski, à l’aimer comme on n’aime qu’une fois — la première — dans toute la vie.