Page:Tolstoï - Histoire d’un pauvre homme.djvu/197

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Mais la vie lui devint très lourde. Jadis si active, elle restait maintenant des heures entières sans rien faire, les yeux vagues, laissant tout aux soins de Louise. Par moments, elle tressaillait et s’enfermait dans sa chambre où, sans répondre à aucune consolation, elle pleurait doucement, demandant à tous de la laisser seule.

L’été, elle allait sur la tombe de ses enfants et restait assise, le cœur déchiré par le souvenir de ce qui avait été et de ce qui aurait pu être. La seule pensée que les enfants auraient été sauvés s’ils avaient habité une ville où l’on aurait pu trouver un médecin, la torturait.

— Pourquoi tout cela, pourquoi ? songeait-elle. Ni José ni moi, nous ne demandons rien à personne. Lui voudrait vivre comme il naquit et comme ont vécu ses parents et ses arrière-grands-parents et moi à ses côtés uniquement pour l’aimer et pour élever mes enfants.

— Et voilà qu’on l’exile, qu’on le torture et à moi on me prend ce qui m’est plus cher que la vie, pourquoi tout cela ?

Elle posait cette question à Dieu et aux hommes sans pouvoir imaginer la possibilité d’une réponse ; et comme sans cette réponse il n’y avait pas de vie, sa vie s’était arrêtée.

Et la pauvre existence d’exilé qu’elle avait su embellir par son goût si féminin, devenait maintenant insupportable non seulement pour elle, mais pour Migourski qui souffrait pour elle et ne savait comment la réconforter.