Page:Tolstoï - Histoire d’un pauvre homme.djvu/85

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Chaque fois que le souverain arrivait et que sa haute stature avec sa poitrine bombée, son nez aquilin au-dessus de sa moustache et des favoris taillés en rond apparaissait et que sa voix puissante saluait les cadets, Kassatski ressentait presque l’émotion d’un amoureux, la même qu’il devait ressentir plus tard avec l’objet de son amour. Cependant l’extase à la vue de Nicolas était plus forte, car à chaque fois il eût voulu lui prouver son dévouement sans borne en se sacrifiant pour lui.

Nicolas Pavlovitch connaissait cette émotion et se plaisait sciemment à la provoquer. Il jouait avec les cadets, s’entourait d’eux, les traitant tantôt avec une simplicité enfantine, tantôt avec une grandeur souveraine.

Après la dernière histoire de Kassatski avec l’économe, Nicolas ne lui avait rien dit, mais quand le garçon s’était approché de lui il l’avait repoussé d’un geste théâtral et, les sourcils froncés, l’avait menacé du doigt. Puis il lui dit en partant : « Sachez que rien n’est ignoré de moi et si je ne veux pas savoir quelques faits, néanmoins, ils sont ici ». Et ce disant, il désigna son cœur.

Quand les cadets sortants furent présentés à l’Empereur, il feignit d’avoir tout oublié. Il leur dit qu’ils pouvaient s’adresser directement à lui et que s’ils s’efforçaient de bien servir leur tsar et leur patrie, il resterait toujours leur premier ami. Comme toujours tous furent très émus et Kassatski qui se souvenait du passé, avait pleuré à chaudes larmes en se jurant de servir de toutes ses forces son tsar bien-aimé.

Quand le jeune prince eut pris du service dans son régiment, sa mère et sa sœur quittèrent Pétersbourg