Page:Tolstoï - La Fin de notre ère.djvu/41

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Ce qu’a fait Joseph avec les Égyptiens, ce qu’ont fait tous les conquérants sur les peuples conquis, ce que font maintenant certains hommes sur d’autres en les privant de la possibilité de jouir de la terre, c’est l’asservissement le plus horrible et le plus cruel. L’esclave personnel, c’est l’esclave d’un seul ; l’homme privé de la jouissance de la terre est l’esclave de tous. Mais là n’est pas le mal principal de l’esclavage foncier. Le maître de l’esclave personnel, quelque cruel qu’il soit, par intérêt même, afin de ne pas perdre son esclave, ne l’oblige pas à travailler sans trêve, ne le torture pas, ne le prive pas de nourriture, tandis que l’esclave privé de la terre doit toujours travailler au-dessus de ses forces, souffrir, avoir faim, et il n’est jamais complètement garanti, c’est-à-dire hors du bon plaisir des hommes et, principalement, de celui des gens mauvais, cupides. Et ce n’est pas encore là qu’est le mal principal de l’esclavage foncier. Il est en ce que l’esclavage foncier ne peut pas vivre d’une vie morale. Ne gagnant pas sa vie par la terre, ne luttant pas contre la nature, il doit fatalement lutter contre les hommes ; par force ou par ruse il doit tâcher de leur arracher ce qu’ils ont acquis de la terre par le travail d’autrui.

L’esclavage foncier n’est pas comme le pensent ceux-mêmes qui le reconnaissent, une des formes restantes de l’esclavage personnel, c’est au contraire l’esclavage fondamental, lequel engendre tout autre esclavage et qui est incomparablement plus pénible que l’esclavage personnel.

L’esclavage personnel n’est qu’un des cas particuliers de l’abus de l’esclavage foncier ; de sorte que l’affranchissement des hommes de l’escla-