Page:Tolstoï - La Fin de notre ère.djvu/43

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parée par les propriétaires privés, et devant le peuple se posait ce dilemme : avoir faim, ne pas se multiplier ou abandonner tout à fait la vie rurale et former des générations de serruriers, de menuisiers, d’ébénistes, etc. Un demi-siècle s’est écoulé, sa situation a empiré de plus en plus ; elle est arrivée enfin à tel point que cet ordre de choses qu’il croyait nécessaire pour la vie chrétienne commence à s’écrouler. Le gouvernement non seulement ne lui donne pas la terre mais la distribue à ses serviteurs et fait entendre au peuple qu’il n’a pas à espérer la liberté de la terre ; il lui organise, sur le modèle européen, la vie industrielle avec les inspecteurs de fabriques, vie que le peuple croit mauvaise et pécheresse.

La privation de son droit légitime sur la terre, c’est la cause principale de la situation malheureuse du peuple russe. C’est aussi la cause du malheur et du mécontentement de leur situation des ouvriers d’Europe et d’Amérique. La seule différence, c’est que l’arrachement de la terre, chez les peuples européens, par la reconnaissance de la légitimité de la propriété foncière privée, est déjà si ancien, tant de nouvelles conditions se sont greffées sur cette injustice que les hommes d’Europe et d’Amérique ne voient pas la vraie cause de leur situation et la cherchent partout dans l’absence des marchés, les tarifs douaniers, la distribution injuste des impôts, de capitalisme, dans tout, sauf dans la privation du peuple du droit sur la terre.

Pour les Russes, au contraire, l’iniquité fondamentale, qui n’est pas encore tout à fait consommée, leur est entièrement évidente. Les Russes,