Page:Tolstoï - La Fin de notre ère.djvu/52

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ces malheureuses brutes qui commettent des meurtres pensant servir ainsi la révolution qui commence — toute cette activité, non seulement ne correspond pas à la révolution en marche, mais mieux que le gouvernement (sans même le savoir, ils en sont les aides les plus fidèles) arrête la révolution, la dirige faussement et lui fait obstacle.

Le danger qui menace maintenant le peuple russe n’a rien à voir avec la chute du gouvernement basé sur la violence et son remplacement par un autre gouvernement, basé également sur la violence — quel qu’il soit, démocratique ou même socialiste. Le seul danger, c’est que le peuple russe, appelé par sa situation particulière à indiquer la voie pacificatrice et sûre de la délivrance, ne soit entraîné, par des hommes qui ne comprennent pas tout le sens de la révolution actuelle, vers l’imitation servile des révolutions passées, et, abandonnant la voie salutaire où il se trouve, ne s’engage dans cette voie fausse où marchent à leur perte sûre les autres peuples du monde chrétien.

Pour éviter ce danger, les Russes doivent, avant tout, rester eux-mêmes, ne pas se renseigner ni prendre le mot d’ordre dans les constitutions européennes et américaines ou dans les projets socialistes ; ils n’ont qu’à interroger et écouter leur propre conscience. Que les Russes, pour exécuter la grande œuvre qui est devant eux, ne se soucient pas de la direction politique de la Russie et de la garantie de la liberté des citoyens russes, mais qu’avant tout ils s’affranchissent de la conception même de l’État russe, et, par conséquent, des soucis des droits de citoyen de cet État.