Page:Tolstoï - La Fin de notre ère.djvu/71

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Mais cet égarement est particulièrement étrange chez les hommes qui suffisent eux-mêmes à leurs besoins, comme les populations agricoles de l’Allemagne, de l’Autriche, des Indes, de la Chine, de l’Australie, et surtout de la Russie. Ces hommes n’ont nul besoin, ne tirent aucun avantage de l’esclavage auquel ils se soumettent volontairement. En sentant leur esclavage, ils sont semblables aux oiseaux qui, malgré la cage ouverte, restent dans leur prison par habitude et parce qu’ils ne comprennent pas qu’ils sont libres. Dans cette situation, se trouve surtout le peuple russe. Pour se délivrer de ces maux toujours croissants, des guerres, de la famine dont ils souffrent et dont on ne voit pas la fin, les Russes — leur immense majorité : tous les paysans — ne doivent entreprendre rien de particulier, mais tout simplement sortir par la porte ouverte de la cage, c’est-à-dire cesser de penser d’une Russie quelconque, qui n’existe qu’en imagination, de sa grandeur, de son unité. Ils doivent, tirant leur nourriture de la terre, vivre d’une vie naturelle, bonne, raisonnable, établie par Dieu, et n’obéir qu’à leur conscience. Et les Russes commencent à le comprendre. Ils le comprennent et le feront ; et les peuples dont la plupart ont quitté la vie agricole doivent faire de même.

Pour eux, il sera difficile de cesser d’obéir au gouvernement, mais quelque difficile que ce soit, ils y seront amenés par les maux qui augmenteront de plus en plus. Tant que ces hommes continueront de lui obéir, existeront, les unions artificielles de la France, de l’Angleterre, de l’Amérique, et tant qu’elles existeront, le militarisme, les guerres, les impôts, les monopoles, les trusts existeront aussi, et malgré n’importe quelles mo-