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Page:Tolstoï - La famille du Vourdalak, 1950.djvu/8

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« – Mon frère, ajouta sa sœur, que veux-tu faire ? Mais non, non, tu n’en feras rien, n’est-ce pas ?

« – Laissez-moi, répondit Georges, je sais ce que j’ai à faire et je ne ferai rien qui ne soit nécessaire.

« Sur ces entrefaites, la nuit étant venue, la famille alla se coucher dans une partie de la maison qui n’était séparée de ma chambre que par une cloison fort mince. J’avoue que ce que j’avais vu dans la soirée avait impressionné mon imagination. Ma lumière était éteinte, la lune donnait en plein dans une petite fenêtre basse, tout près de mon lit, et jetait sur le plancher et les murs des lueurs blafardes, à peu près comme elle le fait à présent, mesdames, dans le salon où nous sommes. Je voulus dormir et ne le pus. J’attribuai mon insomnie à la clarté de la lune ; je cherchai quelque chose qui pût me servir de rideau, mais je ne trouvai rien. Alors, entendant des voix confuses derrière la cloison, je me mis à écouter.

« – Couche-toi, femme, disait Georges, et toi, Pierre, et toi, Sdenka. Ne vous inquiétez de rien, je veillerai pour vous.

« – Mais, Georges, répondit sa femme, c’est plutôt à moi de veiller, tu as travaillé la nuit passée, tu dois être fatigué. D’ailleurs sans cela je dois veiller notre aîné. Tu sais qu’il ne va pas bien depuis hier !

« – Sois tranquille et couche-toi, dit Georges, je veillerai pour nous deux !

« – Mais, mon frère, dit alors Sdenka de sa voix la plus douce, il me semble qu’il serait inutile de veiller. Notre père est déjà endormi, et vois comme il a l’air calme et paisible.

« – Vous n’y entendez rien ni l’une ni l’autre, dit Georges d’un ton qui n’admettait pas de réplique. Je vous dis de vous coucher et de me laisser veiller.

« Il se fit alors un profond silence. Bientôt je sentis mes paupières s’appesantir et le sommeil s’emparer de mes sens.

« Je crus voir ma porte s’ouvrir lentement et le vieux Gorcha paraître sur le seuil. Mais je soupçonnais sa forme plutôt que je ne la voyais, car il faisait bien noir dans la pièce d’où il venait. Il me sembla que ses yeux éteints cherchaient à deviner mes pensées et suivaient le mouvement de ma respiration. Puis il avança un pied, puis il avança l’autre. Puis, avec une précaution extrême, il se mit à marcher vers moi à pas de loup. Puis il fit un bond et se trouva à côté de mon lit. J’éprouvais d’inexprimables angoisses, mais une force invisible me retenait immobile. Le vieux se pencha sur moi et approcha sa figure livide si près de la mienne que je crus sentir son souffle cadavéreux. Alors, je fis un effort surnaturel et me réveillai, baigné de sueur. Il n’y avait personne dans ma chambre, mais, jetant un regard vers la fenêtre, je vis distinctement le vieux Gorcha qui au-dehors avait collé son visage contre la vitre et qui fixait sur moi des yeux effrayants. J’eus la force de ne pas crier et la présence d’esprit de rester couché, comme si je n’avais rien vu. Cependant, le vieux paraissait n’être venu que pour s’assurer que je dormais, car il ne fit pas de tentative pour entrer, mais, après m’avoir bien examiné, il s’éloigna de la fenêtre et je l’entendis marcher dans la pièce voisine. Georges s’était endormi et il ronflait à faire trembler les murs. L’enfant toussa dans ce moment et je distinguai la voix de Gorcha.

« – Tu ne dors pas, petit ? disait-il.