Page:Tolstoï - Le Faux Coupon et autres contes.djvu/106

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XV


Après avoir purgé en prison sa deuxième condamnation, Prokofi, cet élégant ambitieux, sortit de là un homme complètement perdu. Autrefois sobre, il était assis sans rien faire, et son père avait beau l’injurier, il mangeait le pain et ne travaillait pas, et, de plus, guettait l’occasion de dérober quelque chose pour le porter au débit et boire. Il restait assis, toussotait et crachait. Le médecin qu’il alla consulter l’ausculta et hocha la tête.

— Pour toi, mon ami, il faudrait ce que tu n’as pas.

— C’est toujours ainsi ; c’est connu.

— Bois du lait ; ne fume pas.

— Pas besoin de dire cela ; c’est le carême et nous n’avons pas de vache.

Une fois, au printemps, il ne dormit pas de toute la nuit ; il éprouvait une sorte d’angoisse et voulait boire. À la maison il n’y avait rien à emporter. Il mit son bonnet et sortit. Il alla dans la rue jusqu’au presbytère. La herse du sacristain était restée dehors appuyée à la haie. Prokofi s’approcha, chargea la herse sur son dos et se dirigea chez la Petrovna, qui tenait une auberge. Peut-être lui donnerait-elle à boire. Mais avant qu’il ait eu le temps de disparaître, le sacristain sortit sur le perron. Il faisait déjà jour. Il vit Prokofi emportant la herse.

— Hé toi ! Que fais-tu ?

Des gens sortirent. On arrêta Prokofi, et il fut mis en prison, pour onze mois. L’automne vint ; on transféra Prokofi à l’hôpital. Il toussait. Toute sa poitrine se déchirait, et il ne pouvait se réchauffer.