Page:Tolstoï - Le Faux Coupon et autres contes.djvu/117

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d’amour. Mais en revanche, je dansai jusqu’à tomber des valses, des polkas, et, bien entendu, le plus souvent possible avec Varenka. Elle était en robe blanche avec une ceinture rose ; elle avait des gants de peau blancs qui arrivaient jusqu’à son coude maigre, pointu, et des petits souliers de satin blanc. Ce dégoûtant Anissimoff, l’ingénieur, me chipa la mazurka. Je ne le lui ai pas encore pardonné. Il l’avait invitée pour cette danse dès qu’elle était arrivée, tandis que je m’étais attardé un peu chez le coiffeur, où j’étais passé prendre des gants. De sorte que je ne dansai pas la mazurka avec elle mais avec une jeune allemande, à qui, autrefois, j’avais fait un doigt de cour. Mais je crois bien avoir été peu poli avec elle ce soir-là : je ne lui parlais pas, je ne la regardais pas, je ne voyais que la taille élancée de Varenka, sa robe blanche à ceinture rose, et son visage animé, à fossettes, et ses yeux charmants, caressants. Je n’étais pas le seul à l’admirer ; tous, les hommes et les femmes, bien qu’elle les éclipsât toutes, la regardaient et l’admiraient. Et l’on ne pouvait ne point l’admirer. Formellement, je ne dansais point la mazurka avec elle, mais en réalité c’est presque tout le temps avec elle que je la dansai. Sans se gêner, traversant toute la salle, elle venait droit à moi, et je m’élançais sans attendre l’invitation, et elle me remerciait d’un sourire d’avoir compris. Quand on nous amena devant elle, et que, ne devinant pas ma qualité, elle dut tendre la main à l’autre cavalier, elle eut un haussement de ses épaules maigres, et, en manière de regret et de consolation, me sourit. Pendant les figures valsées de la mazurka, je valsais longtemps avec