Page:Tolstoï - Le Faux Coupon et autres contes.djvu/134

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qu’un être humain a besoin d’un autre ; il désire seulement le servir, le caresser, et voilà qu’avec lui, Aliocha, il existait de tels rapports. Il l’apprit par la cuisinière, Oustinia. Oustinia était une jeune orpheline, aussi travailleuse qu’Aliocha. Et Aliocha sentit, pour la première fois, que ce n’étaient pas ses services, mais lui-même, qui était nécessaire à une autre personne. Quand sa mère se montrait bonne pour lui, il ne le remarquait pas. Cela lui semblait tout naturel, comme si lui-même avait pitié de soi. Mais voilà qu’ici, tout d’un coup, il remarqua qu’Oustinia, une personne tout à fait étrangère, avait pitié de lui. Elle lui gardait dans le pot du kacha avec du beurre, et, pendant qu’il le mangeait, le menton appuyé sur son poing, elle le regardait. Il jetait un regard sur elle, elle riait, et lui riait aussi.

Cela était si nouveau et si étrange qu’Alexis eut peur. Il sentait que cela l’empêcherait de faire son travail comme il l’avait fait jusqu’à présent. Mais cependant il était heureux ; et, quand il regardait ses pantalons rapiécés par Oustinia, il hochait la tête et souriait. Souvent, en travaillant, ou pendant une course, il pensait à elle et murmurait : « Hé ! Hé ! Oustinia ! » Oustinia l’aidait autant qu’elle le pouvait, et lui, de son côté, faisait de même. Elle lui racontait sa vie : qu’elle était devenue orpheline ; que sa tante l’avait prise chez elle, puis placée en ville ; que le fils du marchand lui avait conté fleurette, et qu’elle l’avait remis à sa place. Elle aimait à causer, et lui avait plaisir à l’écouter. Il avait entendu raconter qu’il arrive souvent que les paysans qui travaillent en ville épousent des cuisinières. Une fois, elle lui demanda si on le marierait bientôt. Il répondit qu’il n’en