Page:Tolstoï - Le Faux Coupon et autres contes.djvu/174

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les sourcils, rajusta son râtelier et prononça à part soi : « Que lui faut-il ? » et à haute voix :

Entrez.

Sa belle-sœur était une femme douce, bonne, servilement soumise à son mari, mais une originale, comme on l’appelait (certains la tenaient même pour un peu toquée). Elle était jolie, mais toujours mal peignée, habillée négligemment, toujours distraite, et avait des idées des plus étranges qui ne convenaient guère à la femme du gouverneur. Et ces idées, au grand étonnement de toutes les connaissances de son mari, elle les exprimait ouvertement.

Vous pouvez me renvoyer, mais je ne m’en irai pas, je vous le dis d’avance, commença-t-elle avec le manque de logique qui lui était propre.

Dieu préserve ! répondit le beau-frère, avec sa politesse accoutumée, un peu exagérée, en lui avançant un fauteuil.

Ça ne vous dérange pas ? dit-elle en prenant une cigarette dans son étui. — Voilà, Michel… Je ne veux vous dire rien de désagréable… Je voudrais seulement vous parler de Lise…

Michel Ivanovitch soupira, certainement de souffrance, mais il se ressaisit aussitôt, et dit avec un sourire las :

— Avec toi je ne puis causer que d’un seul sujet, précisément celui dont tu veux m’entretenir, dit-il sans la regarder et en évitant même de nommer l’objet de la conversation.

Mais la grassouillette et charmante belle-sœur n’était pas confuse, et continuait à regarder Michel Ivanovitch du bon regard de ses yeux bleus. Elle dit, en soupirant aussi, même plus profondément que lui :