Page:Tolstoï - Le Faux Coupon et autres contes.djvu/183

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

était marié, que sa femme l’avait quitté depuis longtemps, que maintenant il était perdu à ses yeux, qu’il était coupable, et la suppliait de lui pardonner. Elle le fit appeler, lui déclara qu’elle l’aimait, et que, marié ou non, elle se sentait liée à lui pour toujours et ne l’abandonnerait pas. Au rendez-vous suivant, il lui apprit qu’il ne possédait rien, que ses parents étaient pauvres et qu’il ne pouvait lui offrir qu’une vie des plus misérables. Elle répondit qu’elle n’avait besoin de rien, qu’elle était prête à le suivre où il voudrait aller. Il l’en dissuada et la pria d’attendre. Elle y consentit. Mais la vie, avec ces cachotteries de sa famille, ces rendez-vous de hasard, cette correspondance secrète, lui était pénible, et elle insistait pour partir avec lui.

Quand elle fut de retour à Pétersbourg, il lui écrivit qu’il lui promettait d’y venir ; puis il cessa d’écrire et disparut. Elle essaya de vivre comme auparavant, mais cela lui était impossible. Elle tomba malade. On la soigna, mais son état devenait de pire en pire ; et quand elle se rendit compte qu’il lui faudrait cacher ce qu’elle voulait cacher, elle songea au suicide. Mais comment se tuer pour que sa mort paraisse naturelle ! Il lui semblait qu’elle était bien résolue à mourir. Elle se procura du poison, le versa dans un verre, mais au moment où elle allait l’avaler, son petit neveu, le fils de sa sœur, un enfant de cinq ans, entra dans sa chambre en courant pour lui montrer un jouet, cadeau de sa grand’mère. Elle posa le verre, caressa l’enfant, et, tout d’un coup, éclata en sanglots. Elle songea qu’elle aussi pourrait être mère, et pour la première fois, rentrant en elle-même, elle pensa non à ce que diraient d’elles les gens mais