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Page:Tolstoï - Le Faux Coupon et autres contes.djvu/97

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Mais un mois plus tard, quand l’affaire, déférée au tribunal militaire, se termina par le verdict condamnant huit hommes aux travaux forcés, et deux – le vieillard à la barbe blanche et le brun tzigane (comme on l’appelait) – à la pendaison, elle ressentit quelque chose de désagréable. Mais ce malaise moral, sous l’influence de la solennité de l’audience du tribunal, disparut bientôt. Si l’autorité supérieure reconnaît qu’il le faut ainsi, alors c’est bien.

L’exécution devait avoir lieu au village. Le dimanche, en rentrant de la messe, Mélanie, en robe et chaussures neuves, rapporta à sa maîtresse qu’on dressait les potences, qu’on attendait pour le mercredi un bourreau, de Moscou, et que les familles des condamnés ne cessaient de pousser des sanglots qu’on entendait de tout le village.

Nathalie Ivanovna ne sortit pas de sa demeure afin de ne voir ni le gibet ni les gens. Elle ne souhaitait qu’une chose : que tout ce qui devait se passer fût terminé le plus vite possible. Elle ne pensait qu’à soi et nullement aux condamnés et à leurs familles. Le mardi, Nathalie Ivanovna eut la visite de l’officier de police rural qu’elle connaissait. Elle lui fit servir de l’eau-de-vie et des champignons salés préparés par elle-même. L’officier de police, après avoir bu et mangé, lui apprit que l’exécution n’aurait pas encore lieu le lendemain.

— Comment ? Pourquoi ?

— C’est une histoire extraordinaire. On n’a pas pu trouver de bourreau. Il y en avait un à Moscou, mais mon fils m’a raconté qu’après avoir lu l’évangile, il a déclaré qu’il ne pouvait pas tuer.