Page:Tolstoï - Le Père Serge et autres contes.djvu/367

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cette beauté charmante, qu’il s’attendait à voir, mais lui. Qui était-il, cela, il l’ignorait, mais il ne fut nullement étonné par la présence de cette personne qu’il n’avait jamais vue. Il lui semblait qu’il la connaissait depuis longtemps, et que, non seulement il la connaissait, qu’il l’aimait, qu’il avait foi en elle, comme en soi-même. Il s’attendait à voir paraître sa femme bien-aimée, et au lieu d’elle était venu cet homme inconnu, et non seulement le jeune tzar ne s’effraya point et n’en éprouva aucun chagrin, mais il accepta cela comme quelque chose de naturel et d’indispensable.

— Allons, dit le nouveau venu sans émettre le moindre son.

— Oui, oui, allons, dit le jeune tzar, ne sachant où il allait, mais sachant qu’il devait le faire, qu’il ne pouvait éviter de se soumettre aux ordres du nouveau venu. — Mais comment irons-nous ? demanda-t-il.

— Voilà comment.

Le nouveau venu posa la main sur la tête du tzar, et le tzar sentit qu’il perdait aussitôt connaissance. Il ne put se rendre compte s’il était resté peu de temps ou longtemps dans cet état, mais quand il revint à lui, le tzar se trouva dans un lieu étrange. La première et la principale impression que produisait ce lieu était celle d’une odeur horrible et suffocante d’urine et de déjections humaines, unie à celle d’acide phénique. L’endroit où il se trouvait était un large corridor dans lequel deux lampes éclairant mal projetaient une lumière rougeâtre. D’un côté du corridor se trouvait une muraille percée de fenêtres munies de grilles en fer, de l’autre côté, des portes fermées par des cadenas. Appuyé à la muraille un soldat sommeillait dans