Page:Tolstoï - Le salut est en vous.djvu/121

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amour, quoique bien moins puissant que l’amour de soi, se rencontre fréquemment.

Aimer pour soi, pour sa fierté, sa race, son peuple, sans être déjà aussi naturel, est encore fréquent.

L’amour de la nation, ce groupe de même origine, de même langue, de même religion, est encore possible, quoique ce sentiment soit loin d’être aussi fort, non seulement que l’amour pour soi, mais même pour sa famille, sa race. Mais l’amour pour l’état, comme la Turquie, l’Allemagne, l’Angleterre, l’Autriche, la Russie, est déjà une chose presque impossible, et, malgré l’éducation dirigée dans ce sens, cet amour n’est que supposé et n’existe pas en réalité. À ce groupement s’arrête déjà pour l’homme la possibilité de transporter sa conscience, et d’éprouver pour cette fiction un sentiment direct ; tandis que les positivistes et tous les apôtres de la fraternité scientifique, sans prendre en considération la diminution du sentiment à mesure que s’étend l’objet d’affection, continuent à raisonner théoriquement et vont plus loin encore dans cette voie.

« Si, disent-ils, il y a intérêt pour l’individu à étendre son moi à la famille, à la tribu, au peuple, à l’état, il y a un intérêt bien plus grand encore à l’étendre à l’ensemble de l’humanité, de telle sorte que tout le monde vive pour l’humanité, comme chacun vit pour la famille, pour l’état. »

Théoriquement c’est logique, en effet.

Puisqu’on a transporté l’amour de la personnalité dans la famille, de celle-ci dans la race, puis dans le peuple, l’état, il serait absolument logique que les hommes, pour éviter les luttes et les malheurs résultant des divisions de l’humanité en peuples et en états, transportassent leur amour sur toute l’humanité. Il semblerait que ce fût plus naturel, et les théoriciens le prêchent