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Page:Tolstoï - Le salut est en vous.djvu/139

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venger des oppresseurs. Les classes supérieures voient les associations, les grèves, les 1er mai, et sentent le danger qui les menace, et cette peur empoisonne leur vie et se transforme en un sentiment de défense et de haine. Elles savent que, si elles faiblissent un instant dans la lutte contre les esclaves opprimés, elles périront parce que les esclaves sont exaspérés, et que chaque jour d’oppression augmente cette exaspération. Les oppresseurs, même s’ils le voulaient, ne pourraient pas mettre un terme à l’oppression. Ils savent qu’ils périront eux-mêmes non seulement dès qu’ils cesseront d’être oppresseurs, mais même dès qu’ils faibliront. Aussi ne faiblissent-ils pas, malgré leurs prétendus soucis du bien-être de l’ouvrier, de la journée de huit heures, de la réglementation du travail des enfants et des femmes, des caisses de retraites et des récompenses. Tout cela est supercherie ou bien souci de laisser à l’esclave la force de travailler ; mais l’esclave reste esclave, et le maître, qui ne peut s’en passer, est moins disposé que jamais à l’affranchir.

Les classes dirigeantes se trouvent vis-à-vis des classes laborieuses dans la situation d’un homme qui aurait terrassé son adversaire et ne lâcherait pas, non pas tant parce qu’il ne veut pas le lâcher que parce qu’un instant de liberté laissé à son ennemi irrité et armé d’un couteau suffirait pour qu’il soit égorgé lui-même.

C’est pourquoi, qu’elles soient impressionnables ou non, nos classes aisées ne peuvent pas, comme les anciens qui croyaient en leur droit, jouir des avantages dont elles ont spolié le pauvre. Toute leur vie et tous leurs plaisirs sont troublés par le remords ou par la peur.


Telle est la contradiction économique. Plus frappante encore est la contradiction politique.