Page:Tolstoï - Le salut est en vous.djvu/155

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pour se persuader qu’ils sont dans la vérité, pour se convaincre que la vie qu’ils mènent et qui leur est agréable, à laquelle ils sont habitués, est précisément celle qui concorde avec la vérité.

L’esclavage a été contraire à tous les principes moraux que prêchaient Platon et Aristote, et cependant ni l’un ni l’autre ne s’en est aperçu, parce que la suppression de l’esclavage aurait détruit toute l’organisation de la vie à laquelle ils étaient habitués. C’est ce qui se passe à notre époque.

La division des hommes en deux castes, de même que la violence politique et militaire, est contraire à tous les principes moraux que professe notre société, et cependant les hommes instruits de l’avant-garde de notre temps semblent ne pas s’en apercevoir.

Les hommes instruits modernes, sinon tous, du moins le plus grand nombre, s’efforcent inconsciemment de retenir l’ancienne conception sociale de la vie, qui justifie leur position, et de cacher à eux-mêmes et aux autres l’insuffisance de cette conception et surtout la nécessité d’adopter la conception chrétienne qui détruit tout l’ordre de choses actuel. Ils cherchent à maintenir le régime basé sur la conception sociale de la vie, mais ils n’y croient pas eux-mêmes parce qu’elle est surannée et qu’on ne peut plus y croire.

Toute la littérature philosophique, politique et artistique de notre époque est frappante sous ce rapport. Quelles richesses d’idées, de formes, de couleurs ! quelle érudition et quel art, et en même temps quelle absence de thèses sérieuses, quelle timidité devant l’expression de toute pensée exacte ! Des subtilités, des allégories, des plaisanteries, les conceptions les plus vastes, et rien de simple, de net, se rapportant au sujet traité, c’est-à-dire à la question de la vie. Plus encore : on écrit et on