Page:Tolstoï - Le salut est en vous.djvu/170

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discours, banquettent, portent des toasts, publient des revues, et démontrent ainsi par tous les moyens que les peuples, forcés à entretenir des millions d’hommes sous les armes, sont à bout d’efforts, et que ces armements sont en opposition avec le progrès, les intérêts et les désirs des populations ; mais que, en noircissant beaucoup de papier, en débitant beaucoup de paroles, on pourrait mettre tous les hommes d’accord et faire qu’il n’y ait plus d’intérêts opposés et, partant, plus de guerre.

Lorsque j’étais enfant, on me fit croire que, pour attraper un oiseau, il suffisait de lui mettre un grain de sel sur la queue. Je tentai donc de m’approcher d’un oiseau avec du sel, mais je me convainquis bientôt que, si je pouvais lui mettre du sel sur la queue, il me serait tout aussi facile de le prendre, et je compris qu’on s’était moqué de moi.

Les hommes qui lisent les articles et les livres sur l’arbitrage et le désarmement doivent s’apercevoir également qu’on se moque d’eux.

Si on peut mettre un grain de sel sur la queue d’un oiseau, c’est qu’il ne s’envole pas et qu’il est facile de le prendre. S’il a des ailes et ne veut pas être pris, il ne se laisse pas mettre de sel sur la queue, parce que le propre de l’oiseau est de voler. De même le propre du gouvernement est de commander et non d’obéir. C’est pourquoi il y tend toujours et n’abandonnera jamais le pouvoir volontairement. Or, comme c’est l’armée qui lui donne le pouvoir, il ne renoncera jamais à l’armée et à sa raison d’être : à la guerre.

L’erreur vient de ce que les savants juristes — en se trompant et en trompant les autres — affirment dans leurs livres que le gouvernement n’est pas ce qu’il est : une réunion d’hommes qui exploitent les autres, mais, d’après la science, la représentation de l’ensemble des