Page:Tolstoï - Le salut est en vous.djvu/174

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« Quand je songe seulement à ce mot, la guerre, il me vient un effarement comme si l’on me parlait de sorcellerie, d’inquisition, d’une chose lointaine, finie, abominable, monstrueuse, contre nature.

« Quand on parle d’anthropophages, nous sourions avec orgueil en proclamant notre supériorité sur ces sauvages. Quels sont les sauvages, les vrais sauvages ? Ceux qui se battent pour manger les vaincus ou ceux qui se battent pour tuer, rien que pour tuer ?

« Les petits lignards qui courent là-bas sont destinés à la mort comme les troupeaux de moutons que pousse un boucher sur les routes. Ils iront tomber dans une plaine la tête fendue d’un coup de sabre ou la poitrine trouée d’une balle ; et ce sont de jeunes hommes qui pourraient travailler, produire, être utiles. Leurs pères sont vieux et pauvres ; leurs mères qui, pendant vingt ans, les ont aimés, adorés comme adorent les mères, apprendront dans six mois, ou un an peut-être, que ce fils, l’enfant, le grand enfant élevé avec tant de peine, avec tant d’argent, avec tant d’amour, fut jeté dans un trou, comme un chien crevé, après avoir été éventré par un boulet et piétiné, écrasé, mis en bouillie par les charges de cavalerie. Pourquoi a-t-on tué son garçon, son beau garçon, son seul espoir, son orgueil, sa vie ? Elle ne sait pas. Oui, pourquoi ?

« La guerre !… se battre !… égorger !… massacrer des hommes !… Et nous avons aujourd’hui, à notre époque, avec notre civilisation, avec l’étendue de science et le degré de philosophie où l’on croit parvenu le génie humain, des écoles où l’on apprend à tuer, à tuer de très loin, avec perfection, beaucoup de monde en même temps, à tuer de pauvres diables d’hommes innocents, chargés de famille et sans casier judiciaire.

« Et le plus stupéfiant, c’est que le peuple ne se lève