Page:Tolstoï - Le salut est en vous.djvu/192

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D’après cette conception, il ressort que, comme le sens de la vie réside dans le groupement des personnalités, ces personnalités sacrifient volontairement leurs intérêts à ceux du groupe. C’est ce qui s’est produit et se produit encore réellement dans certaines formes du groupement, dans la famille ou la tribu, dans la race et même dans l’état patriarcal. Par suite de mœurs transmises par l’éducation et confirmées par la suggestion religieuse, les personnalités subordonnaient leurs intérêts à ceux du groupe et les sacrifiaient à la communauté sans y être obligées. Mais plus les sociétés devenaient compliquées, plus elles devenaient grandes, plus elles s’augmentaient de membres nouveaux par la conquête, et plus s’affirmait la tendance des personnalités à poursuivre leur intérêt personnel au détriment de l’intérêt général ; et plus alors le pouvoir devait recourir à la violence pour maîtriser ces personnalités insoumises. Les défenseurs de la conception sociale cherchent d’ordinaire à confondre la notion du pouvoir, c’est-à-dire la violence avec la notion de l’influence morale, mais cette confusion est absolument impossible.

L’influence morale agit sur les désirs mêmes de l’homme et les modifie dans le sens de ce qu’on lui demande. L’homme qui subit l’influence morale agit selon ses désirs. Tandis que le pouvoir, dans le sens ordinaire de ce mot, est un moyen de forcer l’homme à agir contrairement à ses désirs. L’homme soumis au pouvoir agit non pas comme il le veut, mais comme il est obligé de le faire ; et c’est seulement par la violence physique, c’est-à-dire l’emprisonnement, la torture, la mutilation, ou par la menace de ces châtiments, qu’on peut forcer l’homme à faire ce qu’il ne veut pas. C’est en cela que consiste et a toujours consisté le pouvoir.

Malgré les efforts incessants des gouvernants pour le