Page:Tolstoï - Le salut est en vous.djvu/233

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tout avec docilité. Et, quand on le libère, il retourne, comme si de rien n’était, à son ancienne vie et continue à parler de la dignité de l’homme, de la liberté, de l’égalité, de la fraternité !

« Mais que faire ? demande-t-on parfois avec une perplexité sincère. Si tout le monde refusait le service, je comprends encore, mais seul, je ne ferais que souffrir sans utilité pour personne. »

Et c’est vrai ; l’homme de la conception sociale de la vie ne peut pas refuser. Le but de sa vie est son propre bonheur. Pour lui personnellement il vaut mieux se soumettre, et il se soumet.

Quoi qu’on lui fasse, quelque souffrance, quelque humiliation qu’il ait à subir, il se soumettra, car seul il ne peut rien, puisqu’il n’a pas de principe au nom duquel il pourrait s’opposer seul à la violence. Et s’unir, ils ne le peuvent ; ils en sont empêchés par ceux qui les dirigent.

On dit souvent que l’invention de terribles armes de guerre finira par rendre la guerre impossible. C’est faux. De même qu’on peut augmenter les moyens d’extermination, de même on peut augmenter les moyens de soumettre les hommes de la conception sociale. Qu’on les tue par milliers, par millions, qu’on les mette en pièces, ils iront quand même à la boucherie comme un bétail stupide. On fera marcher les uns en les fustigeant, et les autres en leur permettant de porter des bouts de rubans et des galons.

Et c’est avec une société ainsi composée d’hommes abrutis jusqu’à promettre de tuer leurs propres parents, que des hommes publics — conservateurs, libéraux, socialistes, anarchistes — voudraient constituer une société rationnelle et morale. Comme avec des poutres tordues et pourries il est impossible de construire une