Page:Tolstoï - Le salut est en vous.djvu/239

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

pas tout à fait le roseau froissé et il n’éteindra pas le lumignon qui fume encore, jusqu’à ce qu’il ait rendu la justice victorieuse. » (Saint Mathieu, XII, 19-20.)

Le chrétien ne se dispute avec personne, n’attaque personne, n’emploie la violence contre personne. Au contraire, il supporte la violence avec résignation et s’affranchit ainsi lui-même et affranchit le monde de tout pouvoir extérieur.

« Apprenez la vérité et la vérité vous rendra libres. » S’il y avait un doute que le christianisme fût une vérité, la liberté complète, sans restriction, qu’éprouve l’homme dès qu’il s’assimile la conception chrétienne de la vie, serait une preuve indiscutable de sa vérité.

Les hommes, dans leur état actuel, ressemblent à un essaim suspendu à une branche. Sa situation est provisoire et doit absolument être changée. Il faut qu’il s’envole et cherche une autre habitation. Chaque abeille le sait et désire modifier cette situation, mais elles sont attachées les unes aux autres et ne peuvent s’envoler toutes ensemble, et l’essaim reste suspendu. Il semblerait qu’il n’y a pas d’issue pour les abeilles, pas plus que pour les hommes qui sont pris dans le filet de la conception sociale. Il n’y en aurait pas, en effet, pour les abeilles si chacune n’était pourvue d’ailes ; il n’y en aurait pas pour les hommes si chacun n’était doué de la faculté de s’assimiler la conception chrétienne.

Si aucune abeille ne prenait son vol sans attendre les autres, l’essaim ne changerait jamais de place ; et si l’homme qui s’est assimilé la conception chrétienne ne vivait pas suivant cette conception, jamais l’humanité ne changerait de situation. Mais, comme il suffit qu’une abeille ouvre les ailes et s’envole pour qu’une deuxième, une troisième, une dixième, une centième la suivent, et