trés de l’esprit chrétien, armés de fusils, de cartouches et de verges qui allaient martyriser leurs frères affamés !
La cause pour laquelle ils voyageaient était celle-ci :
Dans l’une des plus belles propriétés du pays, les paysans soignaient une forêt sur une terre commune à eux et au propriétaire, l’un des plus riches de l’endroit, quand celui-ci se l’adjugea tout entière et commença à pratiquer des coupes. Les paysans, qui depuis longues années jouissaient de cette forêt qu’ils considéraient comme leur ou tout au moins comme bien commun, portèrent plainte. En première instance les juges rendirent un jugement injuste. (Je dis injuste avec le gouverneur et le procureur qui, eux-mêmes, le déclarèrent tel.) Le juge donna gain de cause au propriétaire.
Tous les autres jugements qui suivirent, y compris celui du sénat, bien que chacun vît clairement que le premier jugement était injuste, le confirmèrent, et la forêt fut donnée tout entière au propriétaire.
Le propriétaire continua les coupes ; mais les paysans, ne pouvant croire qu’une injustice aussi flagrante pût être accomplie par des pouvoirs supérieurs, ne se soumirent pas. Ils chassèrent les ouvriers venus pour couper, déclarant que la forêt leur appartenait, qu’ils iraient jusqu’au tsar, mais qu’ils ne laisseraient pas toucher à la forêt.
On en référa à Pétersbourg d’où l’ordre fut transmis au gouverneur d’exécuter le jugement, et celui-ci demanda la troupe, et voilà les soldats avec leur fourniment de fusils, de cartouches et de faisceaux de verges préparées exprès pour la circonstance, tout cela pêle-mêle, en wagon, les voilà partant pour faire exécuter la décision suprême.