Page:Tolstoï - Le salut est en vous.djvu/315

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les ordres, comme le gouverneur, le ministre, ont la conscience absolument tranquille. Tous ceux qui allaient accomplir ce crime paraissaient aussi tranquilles.

Les spectateurs, qui ne pouvaient avoir, semble-t-il aucun intérêt personnel dans cette affaire, regardaient plutôt avec sympathie qu’avec répugnance tous ces gens qui se préparaient à commettre une action aussi atroce. Dans le même wagon que moi voyageait un marchand de bois, ancien paysan. Il exprimait franchement et à haute voix son approbation.

« On ne doit pas désobéir à l’autorité, disait-il. Elle est faite pour être obéie. Attendez un peu, on va leur secouer les puces. Ils ne feront plus d’émeutes. Ce sera bien fait ! »

Qu’est-ce donc ?

On ne peut pas dire que tous ces gens, provocateurs, participants, indifférents, étaient tellement dégradés qu’ils agissaient contrairement à leurs convictions, les uns pour un traitement, les autres par la peur d’une punition. Dans certaines circonstances, ils savent défendre leurs convictions. Aucun de ces fonctionnaires ne volera une bourse, ne lira une lettre qui ne lui sera pas adressée, ne supportera une offense sans en demander satisfaction ; aucun de ces officiers ne trichera au jeu, ne dénoncera un camarade, ne fuira du champ de bataille ou n’abandonnera le drapeau ; aucun de ces soldats ne consentirait à cracher l’hostie, ni même à manger de la viande le vendredi saint. Tous ces gens sont prêts à supporter toutes sortes de privations et de souffrances, plutôt que de consentir à faire ce qu’ils considèrent comme une mauvaise action. Ils ont donc la force de résistance lorsque leurs convictions sont en jeu.