Page:Tolstoï - Le salut est en vous.djvu/340

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actes qu’ils commettent ; les autres — ceux auxquels, au contraire, on persuade qu’ils sont des êtres inférieurs qui doivent en tout se soumettre par suite de cette humiliation constante — tombent dans un état étrange de servilité abrutie et, sous l’influence de cet abrutissement, ne voient pas non plus la portée de leurs actes et perdent la conscience de leur responsabilité. La classe intermédiaire, en partie soumise aux supérieurs, en partie se considérant elle-même comme supérieure, est en même temps enivrée et par le pouvoir et par la servilité, et perd, par suite, la conscience de sa responsabilité.

Il suffit de jeter un coup d’œil, lors d’une revue, sur le chef supérieur tout fier de son importance, accompagné de sa suite sur des chevaux superbes et parés, tous en uniformes éclatants, chamarrés de décorations, lorsque, au son des trompettes, harmonieux et solennels, ce chef passe devant le front des troupes comme pétrifiées de servilité, présentant les armes, il suffit de voir tout cela pour comprendre qu’en ce moment, se trouvant dans cet état d’enivrement au plus haut degré, le commandant, les officiers et les soldats peuvent accomplir tels actes qu’ils n’auraient jamais osés dans d’autres conditions.

L’ivresse que ressentent les hommes sous l’influence de ces excitants : revues, promenades militaires, solennités religieuses, couronnements, est un état aigu et provisoire, mais il y a d’autres états d’enivrement, chroniques : celui des hommes qui détiennent une parcelle quelconque du pouvoir, depuis le souverain jusqu’au plus humble policier, et celui des hommes qui se soumettent au pouvoir et qui sont abrutis de servilité et qui, pour justifier cet état, attribuent toujours, comme tous les esclaves, la plus grande importance et la plus haute dignité à ceux auxquels ils obéissent.