Page:Tolstoï - Le salut est en vous.djvu/347

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les propriétaires et les capitalistes, ne se doutaient même pas que leurs intérêts avaient un lien direct avec ces cruautés. Aujourd’hui les hommes savent déjà, ou sont près de savoir, ce qu’ils font et dans quel but ils le font. Ils peuvent se fermer les yeux, faire taire leur conscience, mais, les yeux ouverts, la conscience déliée, ils ne peuvent plus — ni ceux qui exécutent, ni ceux qui ordonnent — ne pas voir la portée des actes commis. Il arrive que les hommes ne comprennent la portée de ce qu’ils ont fait qu’après l’avoir fait ; il peut arriver aussi qu’ils le comprennent juste avant de le faire. Ainsi, les hommes qui ont ordonné les violences de Nijni-Novgorod, de Saratov, d’Orel, de l’usine d’Iousov, n’ont compris la signification de leurs actes qu’après les avoir accomplis, et actuellement ils en rougissent devant l’opinion publique et devant leur conscience, aussi bien ceux qui ont ordonné que ceux qui ont exécuté. J’en ai parlé à des soldats qui s’empressaient de détourner la conversation ou qui n’en parlaient qu’avec répugnance.

Mais il y a des cas où les hommes reviennent à eux juste avant l’accomplissement de l’acte. Ainsi je connais le cas d’un sergent qui avait été frappé par deux moujiks pendant la répression de désordre et qui en avait fait un rapport ; mais, le lendemain, lorsqu’il vit comment on maltraitait d’autres paysans, il supplia le chef de sa compagnie de déchirer sa plainte et de donner la liberté aux moujiks qui l’avaient battu. Je connais un cas où des soldats désignés pour une exécution militaire ont refusé d’obéir, et je connais beaucoup de cas où des officiers ont refusé de commander les exécutions.

Les hommes qui voyageaient dans le train du 9 septembre allaient tuer et violenter leurs frères, mais personne ne savait s’ils le feraient ou non. Si cachée