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Page:Tolstoï - Le salut est en vous.djvu/358

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Tous ces hommes et ceux qui vivent autour d’eux, leurs femmes, leurs enfants, les précepteurs, les cuisiniers, les acteurs, les jockeys, se nourrissent du sang que par tel ou tel moyen, par telles ou telles sangsues, on tire des veines du travailleur, et chacun de leurs jours de plaisir coûte des milliers de jours de travail. Ils voient les privations et les souffrances de ces ouvriers, de leurs enfants, de leurs femmes, de leurs vieillards, de leurs malades ; ils savent à quelles punitions s’exposent ceux qui veulent résister à cette rapine organisée, et non seulement ils ne diminuent pas leur luxe, non seulement ils ne le dissimulent pas, mais ils l’étalent impudemment devant ces ouvriers opprimés dont ils sont haïs, comme pour les exciter à dessein. Et, en même temps, ils continuent à croire et à faire croire aux autres qu’ils ont grand souci du bien-être de ce peuple qu’ils ne cessent de fouler aux pieds, et, le dimanche, parés de riches vêtements, ils se rendent dans des équipages luxueux à la maison du Christ, élevée pour l’hypocrisie, et là ils écoutent des hommes, instruits pour ce mensonge, prêcher l’amour qu’ils nient tous par toute leur existence. Et ces hommes entrent tellement dans leur rôle qu’ils finissent par croire eux-mêmes à la sincérité de leur attitude.

L’hypocrisie générale a tellement pénétré corps et âme toutes les classes de la société actuelle que rien ne peut plus indigner personne. Ce n’est pas pour rien qu’hypocrisie, dans son sens propre, veut dire jouer un rôle ; et jouer un rôle, quel qu’il soit, est toujours possible. Des faits tels que les représentants du Christ bénissant les meurtriers rangés en ordre, armés contre leurs frères et tenant le fusil pour la prière ; que les prêtres de toutes les confessions chrétiennes participant aussi nécessairement que le bourreau aux exécutions, reconnaissant par leur