Page:Tolstoï - Le salut est en vous.djvu/364

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autre, prescrit directement nos obligations ; en outre, ces mêmes obligations, qui alors n’avaient été exprimées que par certains prophètes dans des termes vagues, sont aujourd’hui si nettement formulées, sont devenues de tels truismes qu’elles sont répétées même par les collégiens et les feuilletonistes. Aussi les hommes de notre époque ne devraient-ils pas feindre de les ignorer.

L’homme moderne, qui profite de l’ordre de choses actuel basé sur la violence et qui assure en même temps qu’il chérit ses semblables, qui ne remarque pas que toute son existence est funeste à son prochain, ressemble au brigand qui, étant enfin pris, le couteau levé sur la victime appelant désespérément au secours, assurerait qu’il ne savait pas que ce qu’il faisait était désagréable à celui qu’il dévalisait et qu’il se préparait à égorger. Comme ce brigand ne pourrait pas nier ce qui est l’évidence même, de même l’homme moderne, vivant au détriment des opprimés, ne pourrait pas semble-t-il, se persuader et persuader aux autres qu’il désire le bien de ceux qu’il ne cesse de dépouiller, et qu’il ignorait comment est acquis le bien dont il jouit.

Nous ne pouvons plus nous persuader que nous ignorons l’existence des cent mille hommes qui, en Russie seulement, sont enfermés dans des prisons ou des bagnes à l’effet d’assurer notre propriété et notre tranquillité ; ni que nous ignorons l’existence des tribunaux dont nous faisons partie nous-mêmes, et qui, sur nos requêtes, condamnent ceux qui ont attaqué notre propriété ou notre sécurité, à l’emprisonnement, à la déportation, aux travaux forcés, où des hommes qui ne sont pas pires que ceux qui les jugent se perdent et se corrompent ; ni que nous ignorons que tout ce que nous avons nous ne le possédons que parce que cela est acquis et défendu par le meurtre et la violence. Nous ne pouvons pas