Page:Tolstoï - Le salut est en vous.djvu/384

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position répugne absolument à ton cœur, à ta raison et à ta foi, et même à la science à laquelle tu crois, il est impossible de ne pas s’arrêter à la question de savoir si, en la conservant et surtout en cherchant à la justifier, tu fais bien ce que tu dois faire.

Tu pourrais tenter l’aventure si tu avais le temps de t’apercevoir de ta faute et de la réparer, et si tu courais ce risque pour quelque chose ayant une valeur. Mais, lorsque tu sais d’une façon certaine que tu peux disparaître à chaque instant, sans la moindre possibilité, ni pour toi ni pour ceux que tu entraînes dans ta faute, de la réparer, lorsque tu sais aussi que, quoi que tu fasses dans l’organisation matérielle du monde, tout cela disparaîtra aussi vite et aussi sûrement que toi-même, sans laisser aucune trace, il est évident que tu n’as aucune raison d’endosser la responsabilité d’une aussi terrible faute.

Ce serait si simple et si clair si notre hypocrisie n’obscurcissait pas la vérité qui nous est indiscutablement révélée.

Partage ce que tu as avec les autres, n’accumule pas de richesses, ne t’enorgueillis pas, ne vole pas, ne fais pas souffrir, ne tue pas, ne fais pas aux autres ce que tu ne voudrais pas qu’on te fît, tout cela a été dit, non pas il y a dix-huit cents ans, mais cinq mille, et il ne pourrait y avoir de doute sur la vérité de cette loi si l’hypocrisie n’existait pas. On n’aurait pas pu, sinon ne pas la mettre en pratique, au moins ne pas la reconnaître et dire que celui qui ne la pratique pas n’agit pas mal.

Mais tu dis qu’il y a encore le bonheur universel, que, pour lui, on peut et on doit ne pas se conformer à ces règles : pour le bien-être général, on peut tuer, violenter, piller. Il vaut mieux qu’un homme périsse que tout un peuple, dis-tu comme Caïphe, et tu signes l’arrêt