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Page:Tolstoï - Le salut est en vous.djvu/61

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Tolstoï, — mais absolument inapplicables aux sociétés européennes de haute culture.

Les critiques étrangers laïques m’ont fait sentir, d’une manière très délicate et sans m’offenser, que je n’ai pu supposer l’humanité capable de se conformer à la doctrine naïve du Sermon sur la Montagne que grâce à mon manque de savoir, à mon ignorance de l’histoire et de toutes les vaines tentatives faites dans le passé pour mettre en pratique dans la vie les principes de cette doctrine. Ils m’ont fait comprendre que je méconnaissais le haut degré de civilisation auquel sont parvenues aujourd’hui les nations européennes, avec les canons Krupp, la poudre sans fumée, la colonisation de l’Afrique, l’administration de l’Irlande, le parlement, le journalisme, les grèves, les constitutions, la tour Eiffel.

C’est ainsi qu’écrivaient M. de Vogüé, M. Leroy-Beaulieu, Mathieu Arnold ; ainsi écrivaient l’auteur américain Savadje, Ingersoll, le populaire libre penseur et orateur américain, et bien d’autres.

« La doctrine du Christ n’est pas praticable parce qu’elle ne correspond pas à notre siècle industriel, » disait naïvement Ingersoll exprimant ainsi, très franchement et très nettement, l’opinion des gens instruits et raffinés sur la doctrine du Christ. Elle n’est pas pratique dans notre siècle industriel ! Comme si l’organisation de notre siècle industriel, tel qu’il existe, était sacrée et ne pouvait être modifiée. C’est comme si les ivrognes répondaient au conseil de devenir plus sobres, que ce conseil est déplacé étant donné leur état d’ivresse.

Les jugements de tous les critiques, russes ou étrangers, malgré la différence de ton et de forme, aboutissent en somme au même malentendu étrange, c’est-à-dire à ceci : que la doctrine du Christ, dont l’un des