Page:Tolstoï - Ma religion.djvu/196

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merce libre et affectueux avec les hommes dont le monde est rempli. Eh bien, plus on est haut placé sur l’échelle sociale, plus on est privé de cette condition essentielle du bonheur. Plus on monte et plus le cercle des hommes avec lesquels il est permis d’entretenir des relations se resserre et se rétrécit ; plus on monte et plus le niveau moral et intellectuel des hommes qui forment ce cercle s’abaisse.

Le paysan avec sa femme est libre d’entrer en relation avec chacun, et si un million d’hommes ne veulent avoir rien de commun avec eux, il leur reste 80 millions d’ouvriers comme eux avec lesquels ils peuvent fraterniser depuis Archangel jusqu’à Astrakhan, sans attendre de visite ou de présentation. Pour un employé et sa femme, il y a des centaines d’hommes qui sont ses égaux ; mais les employés supérieurs ne les admettent pas et, à leur tour, ceux-ci excluent leurs inférieurs. Pour un homme du monde opulent et sa femme, il n’existe que quelques dizaines de familles de la société. Le reste leur est étranger. Pour le ministre et le richard et leur famille — il n’y a plus qu’une dizaine de gens aussi riches et aussi importants qu’eux. Pour les empereurs et les rois, le cercle se resserre encore. N’est-ce pas la détention cellulaire, qui n’admet pour le détenu que des relations avec deux ou trois geôliers ?

Enfin, la cinquième condition du bonheur, c’est la santé et une mort sans maladie. Et de nouveau plus un homme a monté les degrés de l’échelle sociale, plus il est privé de cette condition de bonheur.

Prenez un couple de fortune moyenne dans la société et un couple de paysans dans les mêmes conditions et comparez-les ; malgré les privations et le travail acca-