Page:Tolstoï - Ma religion.djvu/199

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est de tuer ses semblables, ait la fantaisie de dire : « Prends, non pas ta croix, mais ton havresac et ta carabine, et marche à une mort certaine assaisonnée de toutes sortes de souffrances, » et tout le monde accourt.

Abandonnant famille, parents, femmes, enfants, affublés de costumes grotesques et se plaçant sous les ordres du premier venu d’un rang plus élevé, affamés, transis, éreintés par des marches forcées, ils vont sans savoir où, comme un troupeau de bœufs à la boucherie ; mais ce ne sont pas des bœufs, ce sont des hommes.

Ils se demandent pourquoi et, sans recevoir de réponse, avec le désespoir dans le cœur, ils marchent et meurent de froid, de faim, de maladies contagieuses, jusqu’au moment où on les place à la portée des balles et des boulets en leur commandant de tuer de leur côté des hommes qu’ils ne connaissent pas. Ils tuent et on les tue. Et aucun d’eux ne sait à quelle fin ni pour quelle raison. Un ambitieux quelconque n’a qu’à brandir l’épée en prononçant des paroles ronflantes pour qu’on se précipite en masse à la mort ; et personne ne trouve que c’est difficile. Non seulement les victimes, mais leurs parents ne trouvent pas que cela soit difficile. Eux-mêmes encouragent leurs enfants à le faire. Il leur paraît que non seulement cela doit être ainsi et qu’on ne peut faire autrement, mais encore que c’est admirable et moral.

On pourrait croire que la pratique de la doctrine de Jésus est difficile, effrayante et cruelle, si la pratique de la doctrine du monde était facile, agréable et sans danger. Mais la doctrine du monde est bien plus difficile, plus dangereuse et plus cruelle que la doctrine de Jésus.